Le matin du 4 juillet, je n’avais pas du tout envie de fêter le 4 juillet. Légèrement au bord de l’écœurement, j’étais, en overdose d’autocélébration patriotique tendance dévotion religieuse, et fêter l’Indépendance m’inspirait autant que de manger une pizza froide.
Il faut dire qu’au fil de notre voyage, j’avais eu l’impression que c’était un peu tous les jours 4 juillet, entre les manifestations quotidiennes du culte patriotique (le serment d’allégeance dans les écoles, l’omniprésence du drapeau, les messages de soutien aux troupes et aux forces de l’ordre, etc.), les multiples fêtes (Presidents Day, Memorial Day, Independence Day, Veterans Day, fête du drapeau) et la moindre manifestation (rodéo, match de base-ball ou pow-wow indien) qui était, là aussi, prétexte à jouer l’hymne national, saluer le drapeau, encourager les soldats et pourquoi pas faire une petite prière.
Bien entendu, les nombreuses visites de hauts lieux historiques que nous avons faites ont contribué à nous maintenir dans ce bain, mais un certain sommet avait été atteint le dimanche 2 juillet, lorsque nous avons assisté à l’enregistrement spécial fête de l’Indépendance du Tabernacle Choir à Salt Lake City.
Un lieu hors du commun : un amphithéâtre unique au monde terminé en 2000, plus de 21 000 places (imaginez-vous : l’opéra Bastille, c’est 2 700 places; quand on rentre là-dedans on a le souffle coupé comme devant le Grand Canyon), pas le moindre pilier, une acoustique extraordinaire.
Un chœur de 360 chanteurs, justement renommé dans le monde entier.
Tous les dimanches, le chœur enregistre un petit concert de chants religieux diffusé par la radio et sur internet pour les mormons du monde entier et les autres. La semaine du 4 juillet, le programme est plus axé sur une célébration des vertus de l’Amérique : « Hymn for America », « The Stars and Stripes Forever », « America the Beautiful », « This Is a Great Country » ou « My Country, ‘Tis of Thee », le chant qui a servi d’hymne national jusqu’à l’adoption de « Star-Spangled Banner » en 1931 et qui est curieusement sur le même air que « God Save the Queen » (donc l’hymne de l’ancienne puissance coloniale).
A l’écran dans la salle et sur internet, un montage vidéo illustre la beauté naturelle et morale de l’Amérique. Si vous aimez l’esthétique Disney (arrangements lisses mais impeccables, fluidité du montage, fond d’écran rose avec petites étoiles argentées), foncez, c’est pour vous ! (Ici, l’enregistrement pour le 4 juillet 2014 – celui de cette année n’est pas encore disponible, mais vous verrez l’idée. Regardez au moins jusqu’à 3-4 minutes et la première chanson avec sa vidéo, ça vaut le coup !)
Donc, le 4 juillet, mon enthousiasme pour le monde merveilleux de l’Amérique était légèrement fatigué, mais comme il fallait garder le moral et jouer le jeu jusqu’au bout, nous nous sommes habillés en bleu-blanc-rouge (comme ça, ni vu ni connu, on fêtait un peu le 14 juillet en avance), j’ai chaussé mes belles lunettes kitsch aux couleurs du drapeau américain et nous avons suivi un programme classique :
* parade bon enfant dans la petite ville de West Yellowstone, avec déluge de gadgets et de bonbons sur lesquels même les enfants finissent par ne plus se jeter tellement il y en a (puisqu’on vous dit que c’est écœurant).
* rodéo, parce qu’on avait adoré celui de Fort Worth au Texas et que ce ne serait pas facile d’en revoir en France. Mais si le rodéo du Texas était de haut niveau, celui-là était un petit tournoi de province. Pensez aux cirques minables qui font la tournée des villages du fin fond de la France et où on a honte pour le clown tellement c’est mauvais (il y a toujours des clowns dans les rodéos). Et si on avait douté que c’était difficile de rester sur un taureau en furie ou d’attraper un veau au lasso, on en a eu la démonstration par les échecs cuisants de la plupart des participants. Heureusement, un des cow-boys sortait du lot et on avait décidé d’être contents de manger nos hamburgers et de courir après le veau pour attraper le ruban.
* copieux feu d’artifice observé depuis le toit du camping-car dans un champs envahi de voitures. Laurette, qui gardait un souvenir terrifié des feux d’artifice de la Nouvelle-Orléans, découvre qu’on peut y survivre. Les voyages forment la jeunesse.
En fin de compte, comme la parade et le feu d’artifice étaient des spectacles merveilleusement muets, on n’a pas été beaucoup plus évangélisés qu’un jour lambda – mais on devait se rattraper quelques jours plus tard au mont Rushmore !