Détroit n’a pas très bonne réputation, c’est un euphémisme : chômage record, centre-ville en déshérence, faillite de la municipalité en 2013, taux de criminalité le plus élevé des États-Unis…
De fait, c’est quand même le seul endroit des États-Unis où nous ayons vu un fast-food avec des guichets de sécurité pour prévenir les braquages.
Mais la ville a aussi su se montrer sous son meilleur jour pendant notre passage-éclair, avec ses trams colorés et son centre-ville animé par le match de Tigers au nouveau stade Comerica. Comme un signe du regain de vitalité qu’on annonce depuis quelque temps ? Les villes américaines sont connues pour savoir renaître de leurs cendres.
En attendant, nous avons visité non pas une, mais deux usines à Détroit.
D’abord, à tout seigneur tout honneur, l’usine Ford et son musée aux allures d’Independence Hall de Philadelphie.
La Rouge, comme on appelle l’usine parce qu’elle se trouve sur la rivière Rouge (souvenir, comme le nom de Détroit, de la présence française dans la région), se situe très exactement dans la ville voisine de Dearborn. Henry Ford y a installé la chaîne d’assemblage de sa Ford T en 1917, cette Ford T qui devait représenter la moitié des voitures dans le monde quelques années plus tard.
Le coup de génie de Ford, le montage à la chaîne, aurait été inspiré à l’un de ses ingénieurs par la visite des abattoirs de Chicago où les carcasses progressaient le long d’une ligne de production et où les ouvriers, qui n’avaient pas à se déplacer, répétaient toujours la même opération simple. La méthode, efficace, a révolutionné la production industrielle et inspiré Les Temps modernes à Charlie Chaplin.
Nous nous faisions donc une fête de voir la chaîne de montage en fonctionnement. Las, ce jour-là elle était à l’arrêt. Pas de chorégraphie mécanique. Juste des morceaux de tôle sous film plastique. Les portières suspendues comme à des crochets. Un abattoir désert, triste comme tout. Et même pas le droit de prendre de photos.
Heureusement nous nous sommes consolés avec la partie théorique du cours, euh, de la visite, qui nous a tout appris de l’histoire du Ford (champion aussi de la concentration verticale : à l’époque on fabriquait sur place tous les éléments, même l’acier, à partir des matières premières) et de ses nouvelles ambitions écologiques (si, si, c’est une usine verte, regardez).
Quant au musée, immense et multithématique, impossible de faire en une après-midi le tour de ses trésors.
Retenons les limousines des présidents (ici la voiture tragique de Kennedy).
Et, si l’on veut rester dans le morbide présidentiel, le fauteuil où est mort Lincoln.
Le lendemain, changement de décor aux studios de la Motown, une usine à tubes (musicaux) : la légende veut que le producteur Berry Gordy ait été inspiré par les méthodes de production à la chaîne de Ford et qu’il ait décidé de les appliquer à sa maison de disques dans les années 1960.
Hitsville U.S.A. (1959), le premier studio de la maison de disque, qui finira par posséder huit maisons dans la rue (et un grand musée est en projet).
Donc, vous prenez une matière première de qualité (des jeunes noirs de cette ville pétrie de musique qu’est Détroit – talentueux mais pas complètement dégrossis), vous leur apprenez à chanter, à danser, à s’habiller/se coiffer/se maquiller, à répondre aux journalistes et éventuellement à mener leur vie personnelle, vous leur donnez des bonnes chansons soul/pop/rythm & blues enregistrées dans un studio au son inimitable (une caisse de résonance y donne un effet « je chante sous ma douche ») et à la sortie vous avez une écurie (les Temptations, Diana Ross et les Supremes, Marvin Gaye, Stevie Wonder, Lionel Richie, les Jackson Five, etc.) capable de monopoliser les ondes radios.
Là non, plus de photos de l’usine, mais disons que chanter My Girl des Temptations dans le studio A, ça valait quand même le détour avant de quitter la ville et les Etats-Unis…
Entre les hôpitaux Henry Ford et le casino Motorcity flambant neuf dont la ligne veut rappeler le design d’une Chevrolet, impossible d’oublier que nous sommes dans la ville de la voiture.
Dernier regard sur les États-Unis et Détroit (dominée par la tour General Motors) depuis la ville canadienne de Windsor.