Dans Sur la route, Jack Kerouac ne consacrait qu’une poignée de mots à Salt Lake City, qu’il qualifiait de « capitale des jets d’arrosage ». Les parterres de fleurs et les pelouses impeccables en plein désert sont là pour témoigner de la pertinence de cette image.
Mais pour ma part, il me semble que je pourrais écrire un livre sur la grosse journée que nous avons passée là-bas. Et je proposerais une autre image : Salt Lake City, capitale des canapés.
Pas une seconde je n’ai regretté les heures de route que nous avons faites pour rallier la ville des mormons ; en n’y allant pas, nous aurions manqué un morceau important du puzzle américain, ne serait-ce que parce que les mormons sont les seuls à être allés jusqu’au bout du principe religieux américain puisque pour eux les Américains sont littéralement le peuple élu et l’Amérique est la Terre promise où devait être fondée Sion, la nouvelle Jérusalem.
C’est l’ange Moroni qui l’a annoncé à leur prophète Joseph Smith en 1823, en même temps qu’il lui indiquait où trouver des plaques en or gravées dans une langue inconnue, que Joseph Smith a ensuite traduites avec un ami et des pierres/lunettes magiques (on ne peut pas voir les plaques pour vérifier la justesse du déchiffrage, l’Esprit saint les a reprises). Cela a donné le Livre de Mormon, où l’on apprend notamment que les Indiens d’Amérique sont l’une des douze tribus perdues d’Israël (sic.) et que la véritable Église du Christ devait être restaurée dans sa pureté sur le continent américain. Persécutés, leur prophète Joseph Smith devenu martyr, les mormons ont pris la route de l’Ouest en 1846 et se sont arrêtés là où leur nouveau guide, Brigham Young, a décidé que « c’était là » – ce qui demandait en effet un certain don de voyance, ou en tout cas une bonne dose de volontarisme, étant donné qu’il s’agissait d’un coin désertique au pied de montagnes inhospitalières au bord du Grand Lac Salé.
Comme le prosélytisme fait partie des fondements de cette religion, le touriste est accueilli en converti potentiel : des missionnaires, toujours par deux, lui font visiter (dans sa langue) les hauts lieux de Temple Square – le Tabernacle, Assembly Hall, l’extérieur du Grand Temple, la maison de Brigham Young. Il y a aussi le grand musée sur l’histoire de l’Église, l’immense bibliothèque généalogique (les mormons ont pour ambition de baptiser leurs ancêtres) et bien d’autres lieux. On peut aussi facilement assister à une assemblée dominicale et/ou à l’enregistrement hebdomadaire du mondialement célèbre chœur du Tabernacle. Bref, on ne s’ennuie pas. Et si on s’ennuie, on peut toujours lire le Livre de Mormon qu’on nous a remis au passage.
L’ambiance ? Lisse. Feutrée. Les femmes en jupe informe et socquettes, les hommes rasés de près et en costume. Sourire universel et permanent (sauf pendant la célébration du dimanche où il est permis de sortir son kleenex parce les témoignages sont très émouvants). Imaginez-vous dans la succursale d’une grande banque où on veut vous vendre un produit ; vous êtes le bon client, traité avec les égards dus à votre qualité. D’où la moquette et les canapés.
Moquette et canapés dans les visitors centers, mais aussi dans le Grand Temple (il faut être mormon pour entrer, et encore, sur recommandation, mais une maquette permet de découvrir l’intérieur et notamment les salles de réunion et les salles de cérémonie/salons de réception).
Ou encore dans la maison de Brigham Young, laissée « dans son jus » (mais où on ne visite plus les chambres de ses 27 femmes et 53 enfants parce qu’aujourd’hui la polygamie fait mauvais genre).
Tiens, un canapé.
« Je vous en prie, asseyez-vous », propose notre guide lilloise (avant de traduire ce qu’elle vient de dire à la comparse Américaine qui la flique). Et nous, on accepte parce qu’on ne recule devant rien pour vivre l’expérience mormone.
D’ailleurs nous ne nous sommes pas arrêtés là, et si le royaume enchanté des mormons vous intéresse, je vous suggère de lire l’article sur le 4 juillet où je raconterai le concert spécial Independence Day du chœur du Tabernacle : GRANDIOSE ! (Avec et sans ironie.)