Pouvait-on attendre autre chose d’une ville née dans la folie de la ruée vers l’or de 1849 et qui danse sur une faille sismique ? San Francisco a l’âme rebelle et bohème.
Quelques lieux emblématiques de cet état d’esprit parmi les choses vues ces dernières semaines :
* Le quartier de North Beach qui, dans les années 1950, accueillait les écrivains révoltés de la Beat Generation.
A Christian qui me demande ce qu’était la Beat Generation, je réponds que c’était des écrivains qui croyaient en l’énergie et en l’insoumission, qui aimaient bien se droguer pour voir des tournesols et des éléphants roses, se mettre tout nus (surtout Ginsberg) et faire le tour des Etats-Unis (surtout Kerouac). Comme nous, conclut Christian.
La mythique librairie City Lights, rendez-vous des écrivains d’aujourd’hui comme de cette époque et sœur de cœur de la librairie Shakespeare & Co à Paris. Depuis les élections de novembre dernier, on y trouve une section intitulée « pédagogie de la résistance ».
* L’université de Berkeley, ou California University, de l’autre côté de la baie, qui a vu en 1964 les étudiants se révolter et revendiquer leur liberté d’expression politique par de grands sit-in.
Au Free Speech Cafe, on entretient le souvenir de Mario Savio et de ses discours qui galvanisaient ses camarades.
Par un curieux retournement de l’histoire, si l’université a fait parler d’elle le mois dernier, c’est parce que les étudiants ont refusé de laisser s’exprimer sur le campus un champion des discours provocateurs et haineux, Milo Yiannopoulos (suprémaciste blanc, misogyne, antigay…). Ce faisant, ils se sont attirés les foudres de Trump, qui a menacé de priver l’université de financements fédéraux.

Le Red Victorian, lieu-phare de la contreculture
* Pour ne pas être trop long, sautons gaiement à pieds joints par-dessus la période hippie (quartier de Haight-Ashbury, on fête cette année les cinquante ans du Summer of Love), l’affirmation de l’identité des communautés homosexuelles et transsexuelles (quartier Castro, la plus grande Gay Pride du pays a lieu tous les ans en juin) pour arriver à aujourd’hui et à la Glide Memorial Church, qui est une sorte de condensé de tous ces mouvements qui l’ont façonnée.
A vrai dire, si nous sommes allés à leur célébration du dimanche, c’était essentiellement pour écouter des chants gospel, et nous n’avons pas été déçus sur ce point. Mais la découverte était ailleurs.
Cette église est en effet le point d’ancrage d’une communauté qui se donne pour mission de « créer une société radicalement accueillante, juste et aimante, mobilisée pour soulager les souffrances et briser le cercle vicieux de la pauvreté et de la marginalisation ».
Concrètement, cela se traduit par d’importantes actions caritatives (notamment à destination des sans-abris, très nombreux et visibles à San Francisco, particulièrement dans le quartier de Tenderloin), mais aussi par des cérémonies où tout le monde est explicitement le bienvenu, quel que soit sa religion, sa couleur ou son orientation sexuelle, du moment qu’il se place sous le signe de « l’amour inconditionnel ».
(Et comme l’action politique fait partie de l’histoire de la communauté depuis les années 1960, c’est tout naturellement qu’on appelle à l’amour du prochain, y compris de ses ennemis, en projetant une photo de Trump.)
Quand on s’attendait à une « messe du dimanche », c’est un peu décoiffant – pas d’eucharistie, juste des témoignages et un sermon du pasteur ; un baptême minute « parce que la Bible reste une référence importante pour beaucoup d’entre nous » ; et en guise de clou du spectacle, la vente aux enchères d’un gâteau de la Saint-Valentin pour financer leurs actions en direction de la communauté LGBT… Ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’ennuie toujours pas à San Francisco !